mardi 17 mai 2011

Rajesh Khanna, demi-dieu de Bollywood







Superstar, demi-dieu de l’écran, adulé avec une rare ferveur par ses fans, on peut dire que l’acteur indien Rajesh Khanna avait acquis une popularité peu commune au tout début des années 70, en incarnant à l’écran des jeunes hommes romantiques et sensibles dans une série de films à succès. Une gloire si instantanée et si difficile à porter, que l’acteur a très vite perdu le sens des réalités. Victime de sa propre mégalomanie et d’un changement soudain des goûts du public, l’idole des foules a vite perdu son statut de phénomène : un déclin qui lui a peut être sauvé la vie.

Né en 1942 à Amristar, cet orphelin a eu la chance d’être adopté par une famille extrêmement fortunée. Grâce au soutien financier de ses parents, l’acteur tente sa chance à Bombay, en dépit d’une expérience théâtrale des plus ténues. Après avoir gagné un concours de jeunes talents, l’acteur est engagé par les studios bollywoodiens où on le catalogue vite dans les mélodrames sentimentaux. Même s’il paraît dans des productions de premier plan, aux cotés des stars féminines les plus cotés du moment (comme Babita ou Asha Pareck), le succès n’est pas immédiat. Il faut attendre 1969 et le film Aradhana, pour assister à l’explosion de celui qu’on nommera désormais « le phénomène Rajesh Khanna »
Remake d’un mélo de Mitchell Leisen « A chacun son destin » qui valut en 1946 un oscar d’interprétation à Olivia de Havilland, le film est parfaitement convaincant, très bien mis en scène et possède le même charme que les grands classiques d’Hollywood.
Rajesh Khanna, insuffle beaucoup de passion à ses 2 personnages. Ses yeux brûlent de désir dans la scène d’amour avec la troublante Sharmila Tagore : On sent une forte tension érotique alors que les personnages ne s’embrassent même pas et restent vêtus ! Sans parler des chansons, toutes magnifiques, dont le succès ne s’est jamais démenti.
(L’acteur est doublé vocalement par Kishore Kumar, dont la voix magnifique colle étonnamment bien à son personnage : il deviendra un de ses doubleurs attitrés). Le triomphe du film va faire de l’acteur un véritable héros, une idole d’une magnitude que le cinéma indien n’avait encore jamais connue : l’acteur devait faire l’objet d’une protection rapprochée, on raconte que sa voiture était couverte de traces de rouge à lèvres laissées par ses fans, que des admiratrices lui adressaient des lettres enflammées écrites avec leur sang…
Les malheureuses devaient se contenter de vivre leur passion par procuration, en se délectant des amours tourmentées de la star avec l’actrice et modèle Anju Mamendu, puis avec la vedette Dimple Kapadia qu’il épousera en 1973. Certaines ne supporteront pas l’idée même de ce mariage et opteront pour le suicide ! L’homme de leurs rêves n’a pourtant rien des héros musclés et virils qui caracolent à l’époque sur les écrans du cinéma mondial (Sean Connery, etc..), il est bien élevé et doux, au regard tendre avec même un soupçon d’embonpoint : le prince charmant tel que l’imaginent des milliers d’indiennes.
Pendant 6 ans, il va enchaîner les succès les uns après les autres en incarnant souvent les héros romanesques au grand cœur, déchirés par le destin. Néanmoins, une étude un peu plus poussée de ses succès situés entre 1970 et 1974 révèle que l’acteur a su aborder des genres les plus divers. The train (1970), par exemple, est une comédie policière bien décevante au scénario vraiment puéril. On en retiendra de kitchissimes chorégraphies (dont les inévitables danses dans les jardins, ou sous la pluie ou encore des passages de boîte de nuit presque hilarants) et la musique de RD Burman, qui a revitalisé en son temps la variété indienne avec des chansons d’un style résolument moderne, d’inspiration occidentale.
Sachaa Jutha (le vrai et le faux-1970) est un amusant spécimen de cinéma bis clairement inspiré des films d’espionnage européens de série Z qui pullulaient dans les cinémas de quartier des années 60 (Coplan, Commissaire X ou OSS 117) : Tous les ingrédients y sont, des jingles style James Bond au duel final, de la jolie pépée sophistiquée (Mumtaz) aux décors (la cachette « futuriste » du voleur qui rappelle celle de Fantomas).à la potion magique permettant de « statufier » les invités pour leur voler tranquillement leurs bijoux.
Rajesh Khanna est très bon dans son double rôle, et notamment dans son personnage de gentleman cambrioleur un peu narquois.

Haathi mere saathi (l’éléphant et moi -1971) a l’intérêt d’intégrer à l’éternel triangle sentimental de ce genre de mélos un élément original : un éléphant qui va sauver son maître, au péril de sa vie.
Mais si l’on ne devait retenir qu’un seul titre parmi tous ces succès commerciaux, ce serait Anand (1970) qui raconte les derniers jours d’un jeune homme atteint d’une maladie incurable et qui, plutôt que de s’apitoyer sur son sort, décide de vivre pleinement les instants qui lui restent et apporte le bonheur à ses proches, par sa bonne humeur et son enthousiasme inébranlable. Sur un plan strictement musical, les chansons sont fort belles et teintées de mélancolie surtout Zindagi Kaisi Hai Paheli, magnifique, que Rajesh (doublé ici par Manna Day) fredonne sur la plage. La volubilité et l’énergie de l’acteur semblent parfois un peu forcées même s’il exprime ainsi finalement parfaitement le désarroi du personnage qui veut oublier et taire ses malheurs sous les éclats de rire en se mentant à lui-même comme aux autres, même si dans de rares moments, sa mélancolie et son désespoir apparaissent au grand jour.
Comme chez Frank Capra, on assiste à une véritable leçon de vie qui glorifie les joies simples et l’amitié, avec des passages touchants comme ceux où Rajesh aborde des personnes dans la rue qu’il n’a jamais vues, en forçant le destin pour se trouver d’éventuels amis, car il n’a plus le temps d’attendre que la vie fasse les choses.
La scène finale où le personnage principal décède en l’absence de son ami est particulièrement bouleversante et prouve tout le talent du grand comédien, car exempte de cabotinage (on ne saurait dire la même chose de la prestation de ShahRukh Kahn dans le pseudo remake new York Massala en 2003)

A l’occasion, Rajesh Khanna n’hésite pas à paraître dans des films violents ou patriotiques, en incarnant dans Prem Kahani (1975) un jeune poète, bouleversé par la mort de son frère, décide de prendre les armes et de rejoindre son combat afin de lutter pour l’indépendance de l’Inde : un rôle qui aurait sans doute mieux convenu à Amitabh Bachchan.
Certains passages sont d’une rare cruauté (notamment celui où la junte recherche Rajesh en donnant des grands coups d’épée dans les matelas, pendant que sa belle-sœur étouffe involontairement sa fille en l’empêchant de crier). Cependant, c’est encore la tension érotique presque palpable que l’on sent dans le huis clos entre Rajesh et son ex fiancée (la ravissante Mumtaz) qui m’a paru la plus effective.

A partir de 1976, le succès de l’acteur commence à rapidement décliner en dépit des critiques élogieuses de la presse sur ses prestations. Comment expliquer qu’après une gloire si fulgurante, l’acteur ait si vite lassé le public indien ? Tout simplement les changements de mode, un goût du public pour des films plus violents, des héros plus virils comme Amitabh Bachchan, nouvelle idole du public (qui a autrefois joué- fort bien d’ailleurs-avec Rajesh dans Anand) et un ras-le-bol des mélodrames sirupeux.

On raconte que l’acteur, très prétentieux, était devenu irascible, capricieux et insupportable sur les plateaux. Son incroyable succès lui était monté à la tête et il ne parvenait plus à gérer la situation : il avouera même par la suite avoir tenté de mettre fin à ses jours au volant de sa voiture. Finalement, le déclin de sa carrière va lui sauver la vie. Débarrassé de son encombrant statut d’icône et de demi-Dieu, Rajesh Khanna retrouve le goût de vivre. Dans les années 80, il connaît même encore certains succès au cinéma, bien qu’aucun titre ne puisse se mesurer aux triomphes d’antan.


On retiendra surtout son étonnante prestation dans Red Rose (80) un thriller mâtiné de film d’épouvante très réussi dans son genre. Rajesh Khanna, est parfait dans son rôle de sadique qui collectionne les soutiens gorge de ses victimes en guise de trophées (je pense notamment à sa façon subtile de jouer les scènes où il tente de séduire sa future proie, avec détermination et tact, avant de finir par laisser poindre son vrai visage de psychopathe et de maniaque sexuel). Après s’être lancé dans la politique dans les années 90 (il a été élu membre du parlement pendant cinq ans), l’acteur paraît encore à l’occasion au cinéma et à la télévision, dans des rôles secondaires. Mais rien de bien enthousiasmant, hélas. Récemment Rajesh a encore fait parler de lui en jouant des scènes un peu osées avec une actrice bien plus jeune que lui dans un film de série B : sa prestation a été jugée lamentable et honteuse. On est toujours plus exigeant avec les artistes qu’on a adulés ! Mais Rajesh Khanna dont la gloire monumentale n’a jamais été égalée du moins dans son idolâtrie (pas même par le si populaire SRK) avait encore de projets : il se préparait  au lancement d’une chaîne de télévision musicale. Il est décédé d'une longue maladie à l'âge de 69 ans en juillet 2012.