mardi 1 décembre 2009

Georges Milton, brave titi parisien






Roublard et rigolard, Georges Milton connut une formidable popularité auprès du grand public au début du parlant. Des films faciles où le facétieux petit comédien réussissait toujours à faire fortune grâce à son incroyable culot et son sens de la répartie. Longtemps ces productions furent houspillées par les critiques qui le jugeaient populistes et primaires. Pourtant quand on les revoit aujourd’hui, on est surpris par la verve et l’humour de celui qu’on surnommait « Bouboule ». Quand à ses chansons comiques, beaucoup ont franchi les décennies (je lui fais pouet pouet, la fille du bédouin, c’est pour mon papa) sans que les auditeurs les associent d’ailleurs à leur créateur.
Milton, né en 1888 dans la coquette commune de Puteaux a fait ses débuts au casino de la ville, en tant que chanteur comique en imitant Dranem, l‘incontournable interprète d‘« ah les petits pois! ». Sous les applaudissements ou sous les huées, Milton va apprendre son métier de fantaisiste en tirant partie de sa personnalité joviale et de sa simplicité. Pendant la première guerre mondiale, l’artiste joue les clowns au cirque de Moscou. Après le conflit, on le retrouve ainsi à la Gaîté Rochechouart où il triomphe avec des chansons idiotes, spécialité très prisée à l’époque. Le succès remporté dans les cafés concerts le conduit rapidement dans le monde de l’opérette où sa bonne humeur communicative et son entrain remportent tous les suffrages. Milton y incarne l’homme de la rue, le bon garçon un peu trop rondouillard, un peu trop petit, tout à fait quelconque et c’est pour cela que chaque spectateur se reconnaît en lui. La fille du bédouin tiré du spectacle comte obligado est un tube de l’année 1927 (et l‘on entendait encore dans le film Milou en mai de Louis Malle 60 ans plus tard). Ses premières apparitions au temps du cinéma muet (dans des films où il partage l’affiche avec Maurice Chevalier et Florelle) passent inaperçues : il faudra l’avènement du sonore pour que le chanteur comique explose enfin à l’écran. Le roi des resquilleurs fait de lui la grande vedette comique du cinéma français. En pleine crise économique, son personnage de tricheur qui se faufile dans les files d’attente et se joue de la moindre complication avec un air hilare et le recours au système D, fait l’unanimité….parmi le public populaire. Et la chanson « j’ai ma combine », relayée par le disque et la radio renforce le succès du film. Le roi du cirage (1930) un peu trop calqué sur le précédent sera plus froidement accueilli (ici Milton expérimente de nouvelles mixtures pour faire briller les chaussures). On est surpris au passage d’y admirer des girls dans des chorégraphies filmées en plongée qui font songer à celles que Busby Berkeley réalisera 3 ans plus tard à la Warner Bros. Si la réalisation est assez maladroite, les plaisanteries grivoises et l’œil coquin du comédien , ainsi que d’intéressantes vues du Paris des années folles sauvent le film de la naphtaline.
Produit par la Gaumont, la bande à Bouboule est un énorme succès, tout comme nu comme un ver qui bénéficie d’une musique de Maurice Yvain et d’un livret signé Jean Boyer, en passe de devenir le réalisateur spécialiste des comédies musicales à la française. Dans chaque film, Milton case quelques chansons un peu graveleuses, qui font la joie des grands et des petits (qui pourtant ne doivent pas comprendre tous les sous-entendus). Il enregistre des monuments de finesse comme c’est pour mon papa (faire pisser Mirza, c’est pour mon papa), ou si tous les cocus avaient des clochettes. Avec toutes ces gaudrioles et cet esprit très gaulois on aurait pu s’attendre à ce que l a gloire de Milton se limite à la France, or la plupart de ses films furent exportés à l’étranger. Doublé en allemand, la bande à Bouboule triompha à Berlin.
En 1932, Georges Milton triomphe sur scène dans la version française de la célèbre opérette l’auberge du cheval blanc, et à l’écran dans l’adaptation filmée du Comte obligado (sorti en DVD depuis peu) avec l‘espiègle Paulette Dubost. Les dialogues y sont souvent assez lestes, libertins et parfois drôles. Milton, qui se fait passer pour un comte croit déceler des allusions sexuelles dans les interventions des gens de la haute qu'il côtoie. C'est limite vulgaire, mais ça fonctionne. Il est impayable quand il danse avec agilité sur ses toutes petites jambes. Si Milton nous livre une version épatante de la fille du bédouin, on est atterré par la stupidité de la chanson sur les artichauts : difficile de faire plus débile!
On peut se demander si , malgré son succès populaire, l’acteur n’a pas été blessé par les critiques condescendantes dont il a souvent fait l’objet. Rêvant de renouveler son personnage, il crée la surprise en produisant lui-même Jérôme Perrau, roi des barricades …dont il confie la mise en scène à Abel Gance! Fantaisie historique bouffonne, c’est un film aimable et pas du tout déplaisant même si on n’y reconnaît pas un instant la patte de l’auteur de Napoléon. En tous les cas, le succès ne sera pas au rendez-vous.
Dans la seconde partie des années 30, le cher Bouboule va connaître un déclin certain, éclipsé par de nouveaux comiques et par des comédies beaucoup plus sophistiquées venues des USA. Pendant l’occupation, il enregistre encore quelques disques où il vante la débrouillardise des français et le marché noir.
A la libération, l’artiste au visage hilare connaît un regain de succès et sa chanson « ploum ploum tralala » est sur toutes les lèvres. Rien de tel que sa bonne bouille et sa gouaille pour remonter le moral d’un public sortant tout juste de la guerre. En 1948, Milton prend sa retraite et rédige ses mémoires.
Installé à Antibes, il fait partie du jury lors du premier festival de la rose d’or de Juan les pins en 1962.
En 1967, le charmant papy fait une apparition remarquée dans un show TV présenté par Michel Drucker. Multipliant les clins d’oeils, le brave petit bonhomme est chaudement applaudi par un public d’ados et déclare être à l’origine de la vague yéyé avant d’entonner c’est pour ma pap avec un petit pense-bête à la main. Milton est décédé en 1970.
Comme aucun de ses films n’est vraiment intéressant sur un plan strictement artistique et cinématographique, ils ne sont plus jamais rediffusés. Dommage, car c’est un témoignage des belles heures du caf conc' et d'un certain humour à la française.