samedi 11 avril 2009

Freddy Quinn, nostalgie et exotisme




Le chanteur Freddy Quinn fut une des plus grandes gloires de la chanson allemande d’après guerre. Outre sa riche voix mélodieuse de baryton, et ses chansons nostalgiques évoquant de lointaines contrées et le mal du pays, le mythe de « Freddy » reposait également sur une image de baroudeur solitaire bien relayée par les médias, à la ville puis à l’écran. Au cinéma, il fut le héros d’une série de films d’aventures de série B portant son prénom (attention, ce n’est pas le célèbre ogre griffu incarné par Robert Englund), où tel Tintin, on le retrouvait tantôt au Brésil, tantôt au Canada où dans les mauvais quartiers de Hambourg. Toujours seul et fuyant vers de nouveaux horizons après avoir solutionné les problèmes des villageois du coin, tel un cow-boy d’un serial pour public familial. Le tout ponctué de chansons fort bien mises en valeur par sa chaude voix.

Dans la vie de Freddy, il est difficile de discerner la légende de la réalité, tant les péripéties de son enfance furent relayées dans les journaux : né en 1931en Autriche, d’un papa américain et d’une mère journaliste, le petit garçon est « kidnappé » par son père après la séparation de ses parents et emmené aux USA. Après maintes difficultés sa maman va parvenir à le localiser et à le ramener en Europe : mais le courant ne passe pas entre Freddy et son beau père. Aussi, à 14 ans, il fuit aux States, avec des GI, afin de retrouver son papa…pour finir par apprendre que ce dernier est décédé depuis peu. Le jeune homme vivote en travaillant dans des cirques et en faisant des acrobaties et du trapèze. Il se rend également au Maroc et en Algérie où il chante dans différents petits cabarets pour distraire la légion étrangère. Complètement paumé, il s’enfonce dans la spirale de l’alcool. De retour à Hambourg, il est remarqué dans une taverne par des producteurs de la firme Polydor.

L’immense succès remporté par son premier disque (qui bat tous les records de vente en Allemagne), une adaptation de « Memories are made of this » de Dean Martin, en moins swing mais en plus nostalgique le rend immédiatement célèbre. Très vite rassuré par son nouveau statut de vedette, le jeune chanteur abandonne sa vie dissolue pour se consacrer pleinement à son métier. En 1956, il étonne en enregistrant un rock n’roll (le premier en allemand ?) lors du tout premier concours eurovision de la chanson. Il aura davantage de succès avec son adaptation de Day O d’Harry Belafonte qui triomphe en Allemagne et même en France (où ses disques sortiront seulement sous le prénom de Freddy) où il chante la chanson avec un curieux accent antillais!


Très vite, Freddy parait en guest star dans des films folkloriques : en dépit de ses courtes apparitions, les posters insistent nettement sur sa présence au générique. Il semble un peu timide et mal à l’aise dans la grande chance (1957), heimatfilm par excellence, où il fredonne un calypso dans un petit troquet. En 1959, Freddy décroche la tête d’affiche de « La guitare et la mer » agréable petit film qui plante le décor de l’univers du globe trotter solitaire : en dépit des deux femmes qui l’aiment en secret, Freddy préfère reprendre le large, avec le petit vagabond qui l’accompagne, car son univers n’a pas d’horizon, comme dans la belle chanson titre (reprise chez nous par les compagnons de la chanson).

Freddy et la mélodie de la nuit (1960), dans lequel Freddy tient bien son rôle de chauffeur de taxi, possède un charme réel car il donne une peinture un peu glauque mais assez fascinante du Berlin nocturne. Grethe Weiser en vieille marchande de hot dogs est particulièrement émouvante. Les films suivants, bâtis sur un budget plus confortable proposent au public allemand quelques moments d’évasion : les montagnes rocheuses dans Freddy chante sous les étoiles (1960) ou les plages brésiliennes de Longue est la route (1960).

Si les intrigues sont naïves au possible, on se délecte de ce Brésil d’opérette où Freddy, chaussé de tong et coiffé d’un chapeau de paille vocalise dans un bus bondé avec les autochtones. Plus tard dans le film, tel un Big Jim musclé, il chante une marche entraînante dans sa jeep qui s’enfonce dans la brousse. C’est fort dépaysant et amusant, si on a un peu de second degré. Les chansons sont souvent d’excellentes factures.
Coté atmosphère, on peut préférer celle de la verte et mystérieuse Erin cadre de « Seul le vent », où Freddy se retrouve confronté à des escrocs sans scrupules et chante dans la lande une mélodie prenante de toute beauté.

Je laisse à d’autre la Polynésie carte postale de Freddy et la chanson des mers du sud (1962), musical de marins à l’allemande, où un collier de fleurs autour du cou, Freddy chante « Aloa » aux belles tahitiennes et à la française Jacqueline Sassard.
Si les plus jolies actrices allemandes lui donnent la réplique d'Heidi Brühl à Sabina Sesselmann, on ne lui prêtera aucune idylle avec ces nymphettes.
Si la presse et des journaux comme Bravo s’étendent volontiers sur le passé tumultueux de la star, un voile opaque est dressé sur sa vie sentimentale. Comme dans ses films, Freddy est-il destiné à la solitude, et incapable de tisser des liens durables ? ou gay comme le dira la rumeur ? En vérité, le chanteur était tout bêtement marié avec une femme de 13 ans de plus que lui, ce qui ne faisait pas assez glamour pour l’époque, et ne collait pas avec son image, aussi son union ne sera dévoilée qu’en….2002 !

En 1962, Freddy triomphe sur scène dans un musical de Lothar Olias dont l’air principal « junge kommt bald wieder » , très "heimat" dans l'esprit, devient son plus gros succès discographique. La pièce est adaptée à l’écran l’année suivante par Werner Jacobs (Freddy et le nouveau monde 1964) : à l’univers désormais familier de Freddy, toujours déchiré entre son attirance pour le grand large et ses racines, se greffe une parodie de la télé américaine. Freddy est hilarant dans son pastiche forcé d’Elvis Presley, et Jayne Mansfield (la starlette américaine en perdition) apporte également une touche comique très appréciable (son twist est à hurler de rire). Les chansons sont tout bonnement superbes (et pas seulement junge kommt wider) et les numéros fort bien filmés.

Avec son expérience des chapiteaux, il était inévitable de trouver un jour Freddy dans un film de cirque : Freddy et le saut de la mort se laisse voir et est en tous les cas bien plus agréable que la tentative de western parodique « Freddy et la chanson de la prairie », carbone maladroit du film tchèque Limonade Joe (à noter la présence d’un autre sex symbol en détresse : Mamie Van Doren). à la fin du film, Freddy alias Black Joe exécute en même temps les deux méchants avec des deux pistolets : un à sa droite, l'autre à gauche.

En 1965, Freddy enregistre blue spanish eyes de Bert Kempfert. Reprise par Al Martino aux USA (et plus récemment par Franck Michael), cette scie romantique remportera un triomphe international. Autre tube en 1966 : la version allemande de la chanson du film les Bérets verts, une marche martiale reprise chez nous par …Bernard Tapie !
Alors que l’Allemagne connaît une révolution culturelle et sociale comparable à notre mai 68, Freddy Quinn se range aux cotés des réacs et des anti protestataires avec sa chanson Wir, qui est un peu le pendant « nos universités » de Philippe Clay. Un succès qui va vite lui donner une image de has been et ne fera rien pour faire évoluer sa carrière qui va désormais stagner et se diriger plutôt vers la country et le folk (il fera aussi la bande son de la version allemande du dessin animé Lucky Luke)

Concurrencé par le jeune chanteur Heino dont la voix lui ressemble beaucoup, Freddy va beaucoup chanter sur scène et jouer dans des musicals comme le roi et moi. Après avoir connu de gros soucis avec le fisc, puis fait une tournée d’adieu en 2006, le chanteur a apparemment tourné le dos à sa vie d’artiste (il aurait même déclaré que ses fans ne l’intéressent plus !). Le décès de sa compagne le mois dernier, l’a plongé dans une telle affliction, que le chanteur a du être hospitalisé. Souhaitons à Freddy Quinn, à coup sûr une des plus belles voix de la chanson germanique, un prompt rétablissement.

En Allemagne est ressorti un coffret Cd incluant ses rares enregistrements français, ses succès espagnols, ses chansons en anglais, italien, serbe, portugais et même afrikaans. Et un coffret DVD à un prix attractif (sans STF).

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