jeudi 9 décembre 2010

Paul Robeson, un homme de convictions et de liberté








Extraordinaire chanteur à la voix de basse et de baryton, à la fois riche et mélodieuse, Paul ROBESON a très largement contribué à la lutte contre la ségrégation, pour la paix et la liberté avec une conviction et un dévouement qui forcent l’admiration. Une raison supplémentaire pour redécouvrir ce personnage haut en couleur, aussi imposant que l’Othello de Shakespeare qu’il incarna si souvent sur scène et qui lui collait à la peau. Si les films qu’il a tourné (en Grande Bretagne pour la plupart) n’ont pas marqué l’histoire du cinéma, la présence écrasante de la star leur confère un intérêt certain.

Fils d’un ancien esclave au destin exceptionnel (après s’être enfuit de sa plantation en Caroline-du-Nord, ce dernier est devenu pasteur après avoir fait des études universitaires), Paul ROBESON, né en 1898 dans le New Jersey, a certainement hérité de l’opiniâtreté et de l’incroyable volonté de son papa. Athlète accompli, aussi doué pour le basket, le football américain que pour la course à pied, le jeune homme a entamé d’abord des études de droit après avoir remporté une bourse universitaire : fait exceptionnel pour un noir en 1915 (ce fut le troisième étudiant noir à être admis à la Rutgers University) !! Pour financer ses études de droit, Paul ROBESON a participé à des chorales et des tours de chant : sa riche voix de baryton a été aussitôt remarquée. Après le décès de son père, le jeune étudiant renonce au brillant et gratifiant métier d’avocat pour le plus fascinant mais plus instable milieu du show business : un tournant d’autant plus étonnant qu’il abandonnait ainsi à une position sociale des plus enviables auxquels quasiment aucun noir n’avait la possibilité d’accéder en cette époque de racisme exacerbé. Mais le futur artiste a une foi démesurée en son talent et en ses propres capacités, et la suite va lui donner raison. En 1924, il intègre la Harlem Renaissance (mouvement de renouveau de la culture afro-américaine, dans l'Entre-deux-guerres) et joue un rôle important dans une pièce d’Eugène O’Neill où il remporte un énorme succès personnel. Dès l’année suivante, il est la vedette d’un film muet (Body and Soul) du réalisateur noir Oscar Micheaux, un autodidacte aux idées progressistes qui propose enfin un autre regard sur les noirs américains que les films hollywoodiens caricaturaux : dommage que sur un plan technique, le manque évident de moyens ne nuise au résultat. En 1927, Paul ROBESON triomphe dans la superbe et célébrissime opérette Show boat de Jerome Kern, qui évoque le racisme et la ségrégation avec de magnifiques chansons dont l’inoubliable Old man River auquel Paul ROBESON va apporter une touche définitive (le succès sera tel que le spectacle sera traduit en français et joué au Châtelet l’année suivante, et que toutes les voix basses de la variété française de John William à Lucien Lupi reprendront le fameux air rebaptisé Mississipi en français).
Après avoir joué sur les planches le rôle d’Othello, Paul ROBESON souhaite retenter sa chance à l’écran. A t’il seulement conscience de l’incroyable ségrégation qui existe dans le milieu du 7ème art, sans commune mesure à celle du théâtre et du music hall ? Probablement, mais pour l’artiste et l’homme, c’est un combat de plus à mener. En 1930, il joue dans un muet tardif Borderline, tourné en Suisse par Kenneth Macpherson, une histoire d’amour interracial, avec un réalisme empruntant aux œuvres de Pabst et d’Eisenstein : un film dont la diffusion fut limitée à des cercles intellectuels. En 1933, il joue dans la version filmée de l’empereur Jones, la pièce de théâtre qui avait fait sa gloire. En dépit de la brillante performance de l’acteur, le film, tronqué pour ne pas choser l’Amérique profonde (et raciste) n’est guère réussi.
Pour tous les cinéphiles, le nom de Paul Robeson est lié à la superbe adaptation filmée de Show Boat (le théâtre flottant) de 1936 (la meilleure) de James Whale, dans laquelle il impressionne et émeut en reprenant son sublime Old man River.
Il est vraiment regrettable qu’en raison de sa couleur de peau, Hollywood ait été aussi pusillanime pour ne lui confier que des tarzaneries colonialistes comme Bozambo avec jolis negro spirituals sur fond de savane, alors qu’à l’origine l’acteur pensait qu’il s’agirait d’une œuvre antiraciste. En Angleterre, où l’acteur se sentait davantage respecté et aimé, les rôles qu’on lui propose ne sont pas hélas plus gratifiants : c’est toujours le brave noir bien gentil, qui secourt ici un petit garçon fugueur qui s’ennuie dans sa riche famille.
L’intrigue est stupide. Paul Robeson est réduit à jouer les imbéciles au grand cœur dans un Marseille de pacotille où les figurants tentent de prendre l’accent français. Heureusement, il case 5 chansons, et sa voix est fabuleuse, notamment pour l’adorable « berceuse nègre » qui fut reprise en français par Germaine Sablon
Song of freedom (1936), est le type même du scenario passé partout avec un pauvre manutentionnaire qui bosse dans les docks de Londres et devient star de la chanson grâce à sa voix extraordinaire : c’est gentillet, idéaliste, mais quel régal que d’entendre Paul dans des classiques du negro-spiritual comme Jéricho.
Aux Mines du roi Salomon (un gros succès de 1937, qui fera l’objet d’un meilleur remake avec Stewart Granger), Paul Robeson préférait the Proud valley (1940), qui enfin proposait à l’acteur un rôle digne de son talent et de ses convictions, et non une caricature. Le cinéma, le disque et le théâtre ont apporté à l’artiste une consécration et une renommée mondiale. Il pose nu pour les plus grands photographes et sculpteurs. Il intervient de plus en plus dans les médias pour défendre aussi bien les mineurs sans emplois que les victimes de la guerre d’Espagne. Car, Paul ROBESON n’est pas qu’un acteur et un chanteur : il déclare qu’ « un artiste doit prendre partie, il doit se battre contre l’esclavage et pour la liberté » et ne cesse d’œuvrer contre les discriminations de toutes sortes, à la grande fureur des conservateurs. Ses choix politiques vont de plus en plus influer sur sa carrière (il refusera de nombreuses propositions lucratives des studios hollywoodiens) et lui causer de graves soucis pendant la chasse aux sorcières. Soupçonné de sympathies communistes, Paul ROBESON est placé sous haute surveillance par le FBI, qui fait flèche de tous bois pour nuire à l’artiste, en l’attaquant au passage sur sa vie privée et sa sexualité débridée. Devenu persona non grata dans le show business américain, il se rend en union soviétique et dans les pays de l’est où il remporte un énorme succès et remporte le trophée Staline. Il continue d’intervenir publiquement pour dénoncer l’apartheid en Afrique du Sud, la guerre en Indochine ou au Vietnam. En 1961, lors d’une ultime tournée en URSS, il fait une tentative de suicide dont il ne se rétablira jamais vraiment : qu’est il réellement arrivé au chanteur ? A t’il été empoisonné par la CIA comme son fils l’a suggéré ? A-t’il craqué devant les attaques et le harcèlement dont il était victime ? Ou a ’il été cruellement déçu en découvrant le gouvernement soviétique et une réalité très opposée à son idéalisme ? La dernière solution semble la plus probable. Miné par les soucis de santé, le grand baryton se retirera de la vie artistique : il est décédé en 1977. Mais sa légende demeure intacte et de nombreuses biographies ont été depuis consacrées à ce personnage plus grand que nature et terriblement humain.

jeudi 7 janvier 2010

Sandro : mort du King argentin







Chaque pays a ses idoles. J’ai pu constater avec quel bonheur les étrangers étaient ravis et souvent profondément touchés de discuter avec des français qui connaissaient un peu leur pays et leurs monstres sacrés. Ainsi, lors d’un voyage en Italie, une étudiante argentine m’avait confirmé à quel point Sandro était aimé dans son pays et selon ses termes l’équivalent chez nous de Johnny Halliday en terme de popularité.
J'ai une pensé pour elle an apprenant aujourd'hui le décès de Sandro, le king argentin à l'âge de 64 ans.

Né en 1945, Roberto Sanchez, petit-fils de gitans, a commencé à chanter, avec des copains dans de petits orchestres de rock en imitant son idole, Elvis Presley, auquel il empruntait non seulement son répertoire mais aussi ses fameux déhanchements qui faisaient fureur et scandale auprès des personnes bien pensantes. Au début des années 60, le jeune chanteur va ainsi se produire dans différentes petites formations dont l’une se nommait « les caniches de l’Oklahoma » (ce qui montre qu’il ne manquait pas d’humour et d’auto dérision. Sa rencontre avec le compositeur Anderle sera décisive. Ensemble les deux hommes vont bâtir un répertoire original, davantage composé de balades sentimentales que de chansons rythmées. En 1967, Sandro remporte un concours de chant avec Quiero llenarme de ti. Cette chanson et surtout le disque suivant (sur un rythme plus syncopé)« rosa rosa » sont de tels tubes qu’il est immédiatement engagé au cinéma.
Quiero llenarme de ti (1967) nous conte sans originalité aucune la vie sentimentale d’un chanteur adulé par les foules et vivant une histoire d’amour contrariée avec une dame au look étrange qui ressemble beaucoup à la poupée québécoise Fanfreluche. Q’importe, toutes les cinq minutes environ, l’action est interrompue par d’excellentes chansons (dont les deux succès sus-visés). Le film démarre fort : avant même le générique, Sandro surgit de la fumée, pour interpréter une chanson très aznavourienne d’une grande puissance dramatique. Destinées à un public très populaire et peu cultivé, les intrigues des films de Sandro sont toujours peu complexes et toutes droit sorties d’un roman-photo. Cependant, l’acteur y fait preuve d’une réelle présence et d’un indéniable charisme. Lèvres épaisses et sensuelles, regard ombrageux, attendri lors des scènes d’amour ou presque cruel, chemise largement ouverte sur une poitrine très velue, : c’est tout le portrait du macho latin qui fait pâmer ces demoiselles. Les chansons, faciles à retenir sont souvent de bonne facture, et toujours interprétées avec conviction par la voix un peu chevrotante de Sandro (qui ressemble un tantinet à celle de Julien Clerc ou de Charles Aznavour), mais dont les accents et la puissance d’interprétation (dans les airs les plus dramatiques) évoquent le souvenir du mythique Carlos Gardel. En effet, pour l’émotion, les argentins ne font pas dans la demi-mesure, et les interprétations de Sandro, dans ses meilleurs morceaux ont souvent quelque chose de violent et de torturé.

Dans Muchacho (1970), Sandro joue le rôle d’un jeune homme protégé par une vieille dame un peu farfelue et accaparante (on peut d’ailleurs se poser des questions sur l’exacte nature de leurs relations), fort bien interprétée par Olinda Bozan, une ancienne partenaire de Gardel. Outre la très belle ballade trigal (sur un tempo de bossa nova), le meilleur moment reste son interprétation d’Amada mia pour séduire la belle Iran Eory.(toutes les chansons du film sont d’ailleurs très agréables).

Le film le plus connu de Sandro est peut être Gitano (1970), dans lequel il part à la recherche de son père, un artiste de cirque et se retrouve accusé de meurtre. Tous les ingrédients sont là pour le succès : le chanteur parcourant la pampa, torse nu sur son cheval, l’atmosphère de fête foraine. Et tant pis, si pour jouer le rôle de son père il lui suffit d’enfiler une grosse moustache noire et de danser une sorte de casatchok. Le film, même s’il reste un nanar de série B, est vraiment sympa à regarder. On ne peut en dire autant de Sortilèges d’amour (1971) où il donne la réplique à la splendide star espagnole Carmen Sevilla (ex partenaire de Luis Mariano) Dans un moyen âge de pacotille, les jambes moulées dans un collant vert, Sandro tente de séduire la belle princesse Sevilla qui se morfond dans son donjon avec un tube très années 70 : C’est vraiment ridicule, et on ne peut s’empêcher de penser aux Visiteurs ou au chevalier blanc. En tous les cas, au second degré, c’est plutôt comique. La grande scène de danse (une sorte de czardas ?)avec Sandro, Carmen et les gitans se laisse regarder, mais est vraiment mal filmée.

En 1971, pour les besoins de Je t’aimerai toujours, Sandro est un pilote de formule 1a victime d’un grave accident de la route. D’abord aveugle, il va finir par recouvrer la vue, et gagner le cœur de sa belle, mais le doute était-il permis ? Il y chante « dame el fuego de tu amor » un morceau bien balancé qui ressemble à s’y méprendre au générique de poigne de fer et séduction. Il faut voir Sandro se déhancher sur le morceau sur la piste de danse. Sa manière très syncopée de remuer, avec des gestes lascifs est d’un ridicule extrême(ça me fait penser un peu à Ringo le mari de Sheila), et on a du mal à croire qu’à l’époque le public pouvait trouver ça prenant !
Dans destino de un caprichio (1972), on le retrouve encore avec l’attachante Olinda Bozan à laquelle il chante une fort belle chanson avec beaucoup de conviction ( à un moment, on a l’impression que son regard lance des flammes et il a même un petit coté Dracula : serait-il avec Valentino le rare exemple d’une vamp version masculine ?)
Opération Rosa Rosa (1974) est une parodie des films d’espionnage plutôt sympa et par moment assez drôle, même si on n’a jamais l’impression de regarder un film mais plutôt une des innombrables séries télé qui pullulaient sur les petits écrans (genre Mannix, le magicien, chapeau melon etc…). L’intrigue est puérile :
Un chanteur de variétés (Sandro) est chargé d’espionner de dangereux criminels qui veulent anéantir la planète en propageant une bactérie hautement dangereuse dans l’eau courante. Pour s’infiltrer parmi les criminels, dont le chef est un grand couturier (qui ressemble à Grand-mère de Chapeau melon), la copine et collègue de Sandro n’a aucun mal à séduire le membre du gang le plus sensible à la gente féminine. Mais très vite, Sandro est repéré et séquestré par les vilains qui veulent l’électrocuter de bien curieuse façon (avec une machine animant un pantin désarticulé qui danse les claquettes tout en envoyant des décharges électriques).
Dans le rôle principal, Sandro roule les mécaniques, en se déhanchant exagérément sur les chansons les plus rythmées : là aussi on rigole, mais je ne suis pas sûr que l’artiste ait voulu s’auto parodier puisqu’il joue cette carte dans tous ses films et ses shows !
Subi que te llevo (1980) sera son dernier rôle important sur grand écran.
D’abord on est surpris par un scénario aussi puéril : Une jeune femme perd sa chaussure dans la panique causée par les fans du chanteur Sandro. Ce dernier, tombé amoureux au premier coup d’œil parvient à la retrouver par le biais du marchand de chaussure. Afin de la séduire et surtout d’obtenir les bonnes grâces de l’oncle sévère qui veille sur elle, Sandro se fait passer pour son frère, un homme d’affaires, en enfilant une fausse moustache.
Jamais en France on aurait osé sortir en 1980 dans les salles obscures un film basé sur une histoire aussi simplette (à la rigueur, ça aurait pu convenir pour un épouse de Joséphine ange gardien). Cette comédie très familiale et sans prétention se laisse pourtant regarder comme un gentil feuilleton télé et par moment presque drôle (quelle drôle d’idée d’enregistrer ses chansons torse nu dans le studio.

Dans les années 70, Sandro va beaucoup chanter sur scène, non seulement en Argentine, mais dans toute l’Amérique du Sud (ses films faisaient un carton au Mexique) et aux USA. De grands spectacles mélangeant ses ballades romantiques et des airs plus rocks avec sa façon si excentrique (et si tordante) de danser, surtout quand il a l’air un peu trop survolté ! Subséquemment à une brouille avec Anderle, les succès de Sandro seront moins forts dans les années 80. Il tourne une série télé à Porto Rico puis donne un spectacle pour fêter ses 25 ans de carrière. On peut alors tristement constater que comme le King son idole, Sandro a de gros problèmes de poids. Son apparition au début du show, dans un complet de soie blanche, avec des ailes dans le dos, propulsé comme une fusée (par des effets spéciaux à petit budget) est risible, hélas. En revanche, dans la seconde partie de son show, en smoking, il montre encore toute l’étendue de son talent pour interpréter les morceaux les plus émouvants de son répertoire.

Depuis quelques années, ce fumeur invétéré a connu de très graves problèmes de santé (un emphysème pulmonaire) qui avaient déjà failli lui coûter la vie. Remarié en 2006 pour la seconde fois (il a aussi 2 filles), Sandro est décédé avant-hier d'une septicémie après avoir subi une transplantation coeur-poumons.

Une pensée pour ses innombrables fans d'Amérique latine.